Les chiffres parlent d’eux-mêmes. Dans l’immobilier ancien, les prix ont baissé de 1,8 % au troisième trimestre sur un an, selon l’indice Notaires-Insee de référence publié le 30 novembre dernier. Les prix diminuent de 1,6 % pour les maisons et de 2 % pour les appartements.
La hausse des prix, continue depuis fin 2015, marque donc un net coup de frein depuis la mi-2022, quand elle dépassait encore les 6 % par an. De + 6,8 % au deuxième trimestre 2022, la hausse des prix dans l’immobilier ancien a reculé à 6,4 %, 4,6 %, 2,7 %, puis 0,5 % au deuxième trimestre, avant cette chute de 1,8 % sur un an au troisième trimestre.
Laforêt immobilier constate également cette tendance. En septembre 2023, au niveau national, la baisse était de 3,1 % par rapport au même mois l’an dernier. « La baisse des prix gagne l’ensemble de la France tout en restant insuffisante pour resolvabiliser les acquéreurs », notait alors ce réseau d’agences immobilières. L’Ile-de-France est particulièrement concernée, avec un recul des prix de 6,4 % par rapport à septembre 2022.
Pour Guy Hoquet, autre réseau d’agences immobilières, la baisse des prix est de l’ordre de 1,4 %. « Elle reste très relative pour le moment », relativise cependant auprès de L’Express Delphine Herman, directrice relations extérieures et projets transverses. Rares sont les endroits épargnés. Ainsi, les stations balnéaires de La Baule et de Pornichet (Loire-Atlantique), où le marché reste toujours dynamique, affichent des prix en baisse de 3 à 5 % en front de mer et dans les quartiers résidentiels, constate l’agence l’Evidence immobilière, implantée sur ces deux communes.
La flambée des taux
Cette baisse est essentiellement liée à la flambée des taux d’intérêt, ce qui a renchéri le coût des crédits. « Au premier semestre de l’année 2022, on pouvait emprunter à des taux autour de 1 %. En 18 mois, le coût de l’argent a très fortement augmenté car les taux ont dépassé allègrement les 4 % », rappelle auprès de L’Express Yann Jéhanno. Pour autant, constate le président du réseau Laforêt, les prix ne « dévissent pas ». « Les acquéreurs, qui ont vu leur pouvoir d’achat reculer de 20 à 25 % selon les territoires et les profils, veulent récupérer une partie de ce pouvoir d’achat perdu dans les prix », indique-t-il.
« L’effet combiné de la perte de pouvoir d’achat des Français et de la remontée brutale des taux de crédits immobiliers a généré cette contraction du marché. Moins d’acheteurs potentiels pour un même bien, cela renverse le rapport de force sur la valeur du bien », abonde Delphine Herman.
La plupart des vendeurs se sont adaptés à cette nouvelle donne. « Au premier trimestre 2023, les vendeurs ont vite compris que le marché leur était un peu moins favorable et qu’ils avaient intérêt à faire un pas pour baisser les prix. Ils l’ont fait de manière assez volontaire et significative, explique Yann Jéhanno. Puis, sur les six mois suivants, ce sont les acquéreurs qui ont fait des efforts et qui ont reconfiguré leurs projets. »
Des négociations plus importantes
« Les vendeurs commencent à comprendre que la fête est finie », constate Vincent de Béjarry, manager commercial de l’Evidence Immobilière. Il rappelle que le marché s’était emballé en 2020 et 2021, en pleine crise sanitaire. « Nous avons vécu une période vraiment anormale où, dès que l’on mettait un bien en ligne, même avec un prix fixé 5 à 10 % au-dessus de l’estimation, on avait tout de suite 15 demandes et il fallait le visiter tout de suite. A cette époque, si les acheteurs ne faisaient pas une offre au prix, le bien leur passait sous le nez », raconte-t-il.
Dans ce contexte, les biens en vente font l’objet de négociations accrues. « Elles ont toujours eu lieu mais se sont amplifiées. Elles sont beaucoup plus fortes en octobre et novembre par rapport au début de l’année », souligne Yann Jéhanno. Le président du réseau Laforêt indique que si la marge de négociation était d’environ 4,5 % au premier semestre 2022, quand le marché tournait à plein régime, elle se situe désormais autour de 6 % au niveau national à la fin de cette année. La proportion de biens négociés a par ailleurs augmenté, passant de six biens sur dix avant 2022 à presque huit biens sur dix désormais.
« Les vendeurs ont intérêt à être raisonnables lorsqu’ils ont des acquéreurs qui sont finançables », affirme-t-il. « Le rapport de force entre vendeurs et acquéreurs commence à se modifier. C’est un changement en profondeur par rapport au marché que nous avons connu ces 10 ou 15 dernières années », observe Delphine Herman. Yann Jéhanno nuance : « Il faut déjà que les acquéreurs soient finançables et soient capables de le démontrer. » L’agence de Vincent de Béjarry « vérifie tout de suite la solvabilité » de l’acquéreur, en lui demandant désormais « systématiquement d’aller voir un courtier afin que celui-ci leur remette un certificat de solvabilité ».
La situation a donc changé en 2023. « Depuis six à huit mois, nous n’avons plus du tout d’offre au prix alors qu’on en avait assez régulièrement en 2021. Les prix du bien sont négociés lors de chaque vente et des primo-accédants n’hésitent parfois pas à faire des offres 20 ou 25 % en dessous du prix à Saint-Nazaire », une commune plus populaire à proximité de La Baule, témoigne Vincent de Béjarry.
Pour autant, certains vendeurs sont toujours récalcitrants à l’idée de baisser les prix. « Il y en a qui résistent. Il faut faire œuvre de beaucoup de pédagogie et de suivi », raconte Yann Jéhanno. Dans tous les cas, « les vendeurs ont intérêt à être raisonnables lorsqu’ils ont des acquéreurs qui sont finançables », avance-t-il.
Une baisse des prix qui devrait se poursuivre
Cette tendance à la baisse des prix va-t-elle se poursuivre en 2024 ? Même s’ils préfèrent être prudents, les professionnels de l’immobilier interrogés le croient. Inflation, conflits internationaux… Le contexte « fait qu’on devrait continuer sur cette dynamique de baisse des prix, en tout cas lors du premier semestre 2024 », prédit Yann Jéhanno. Autre élément évoqué par le président du réseau Laforêt : les contestations dans certaines régions, notamment des territoires proches du littoral, contre les hausses de prix et les difficultés pour les locaux à se loger. « On voit beaucoup d’habitants historiques de certaines régions reprendre la main sur leur marché. Cela contribue à faire un peu diminuer les prix. »
Si la baisse des prix devrait particulièrement se poursuivre en Ile-de-France, en revanche, la Bretagne et la Normandie restent deux régions « attractives » qui pourraient continuer à tirer leur épingle du jeu dans le futur. Une tendance renforcée par le fait que de plus en plus de retraités quittent le sud de la France pour s’installer dans ces régions, notamment en raison du réchauffement climatique et des inondations, note Yann Jéhanno.
« Je ne prévois pas un premier semestre 2024 incroyable. Il va falloir que les professionnels de l’immobilier continuent à faire le dos rond pendant la première partie de l’année 2024 », avance à L’Express Jean-Baptiste Bullet. Selon le porte-parole des notaires du Grand Paris, la baisse des prix « devrait se lisser ». Vincent de Béjarry estime lui aussi que cette diminution constatée en 2023 va « se poursuivre doucement » l’année prochaine, peut-être aux alentours de 2 ou 3 %, voire 5 %. « Je ne suis pas sûr qu’un énorme bouleversement se produise, il n’y aura probablement pas d’effondrement des prix », prédit le manager commercial de l’Evidence Immobilière.
Un « nouvel équilibre » entre vendeurs et acquéreurs
Interrogé par Le Figaro en octobre, Christian de Kerangal, directeur général de l’Institut de l’épargne immobilière et foncière (IEIF), se montrait quant à lui plus affirmatif : « Je ne vois pas comment l’on peut éviter une correction plus significative encore des prix. […] Une baisse des prix d’au moins 10 % en France est probable au cours des deux, trois prochaines années, avec de fortes variations selon les villes. À Paris, où les prix ont beaucoup monté ces dernières années, ces baisses pourraient atteindre au moins 15 % à 20 % », poursuivait Christian de Kerangal.
« Pour 2024, les perspectives restent incertaines, avance de son côté Delphine Herman. Si les conditions économiques s’améliorent, comme cela semble s’amorcer fin 2023, avec une stabilisation des taux de crédit et une inflation ralentie, je m’attends à un volume de transactions égal ou légèrement inférieur à l’atterrissage de 2023. Si tel était le cas, la baisse des prix pourrait se poursuivre, mais avec une forme de décélération. »
Yann Jéhanno nuance néanmoins l’impact de cette baisse : « Beaucoup de communes se trouvent dans un marché de pénurie avec très peu de biens disponibles à la vente. » En outre, les biens situés dans une gamme de prix variant entre 250 000 et 300 000 euros, le cœur du marché immobilier, devraient toujours être demandés selon lui. « Ces biens-là sont très recherchés », note Yann Jéhanno, indiquant que le prix moyen d’une transaction immobilière chez Laforêt est de 267 000 euros.
« L’année 2024 devrait probablement voir s’installer un nouvel équilibre entre les acquéreurs et les vendeurs, déclare Delphine Herman. Mais le véritable enjeu reste celui de l’offre avec l’insuffisance structurelle de logements neufs. » La directrice des relations extérieures et projets transverses de Guy Hoquet réclame des pouvoirs publics une « politique volontariste de construction pour répondre aux besoins des Français ». « Nous vivons actuellement une véritable crise du logement, plus dangereuse qu’il n’y paraît », s’inquiète-t-elle. Et cette crise pourrait ne pas se résorber rapidement.
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