Un pavé dans la mare. Pour la première fois depuis 2017, la Métropole de Lyon est passée en seconde position, derrière Toulouse, dans le baromètre du conseil en immobilier d’entreprise Arthur Lloyd sur l’attractivité des métropoles de plus de 1 million d’habitants.
La nouvelle ne semble pas perturber Bertrand Foucher, directeur général de l’Aderly, l’agence de développement économique de la Métropole, qui a pour mission de détecter et d’accompagner les entreprises » exogènes » via son programme InvestinLyon : financement, recherche de foncier, aide au recrutement, connexion avec l’écosystème, etc.
Son responsable y voit la rançon du succès : « En raison de son fort développement, Lyon souffre d’un manque de foncier pour les entreprises et le coût du logement rend les recrutements plus difficiles. » Il pointe au passage la politique de ses prédécesseurs, qui ont privilégié des grands projets « en volume », consommateurs de mètres carrés et portés par des entreprises du tertiaire (digital, économie de la connaissance, etc.), des secteurs employant des cols blancs à fort pouvoir d’achat ayant contribué à la hausse des prix de l’immobilier.
Décroissance
Pourtant, à y regarder de plus près, l’événement n’est peut-être pas si anecdotique. Si l’on met de côté le coup d’arrêt du Covid en 2020, le nombre d’implantations sur le territoire a fortement décru ces dernières années. Il est passé de plus d’une centaine par an entre 2017 et 2019 et près de 2 400 emplois créés par an, à une soixantaine depuis 2021 (et moins de 1 400 emplois). L’année dernière, 64 nouveaux projets ont été accompagnés, qui devraient générer un peu plus de 1 500 emplois à 3 ans.
Plus inquiétant, la quasi-totalité des entreprises nouvellement arrivées sur le territoire ont opté pour Lyon intra-muros, avec une forte appétence pour les quartiers de la Part Dieu, Gerland et Confluence. Au détriment des 59 communes de la Métropole et de territoires plus éloignés comme le Parc industriel de la Plaine de l’Ain (Pipa), la communauté de communes de Nord Isère (CAPI) ou encore la région de Saint-Etienne. Alors qu’en 2018 par exemple, sur 116 projets, 49 d’entre eux se situaient hors Lyon intra muros (communes adjacentes et territoires plus éloignés). Enfin, la part des entreprises à capitaux étrangers est passée en dessous de la barre des 40 % du total des nouveaux arrivants. « C’est exact. Nous avons été un peu faibles sur l’Europe en 2023 mais nous avons prévu une soixantaine de missions en 2024 pour nous y redéployer », reconnaît Bertrand Foucher, qui compte intensifier les coopérations dans le cadre du réseau d’agences économiques européennes Choose Europe, auquel appartient l’Aderly.
Vives critiques de l’opposition
Pour Sébastien Michel, maire (LR) d’Écully (Rhône) et directeur des affaires publiques de Viatris, le constat est sans appel. « Tous les indicateurs sont à l’arrêt ». La perte d’attractivité de la Métropole et territoires adjacents (Saint-Etienne, Vienne, Nord Isère, parc de la Plaine de l’Ain, etc.) a été causée par une « volonté politique d’aller à l’encontre de ce qui a fait historiquement l’attractivité de l’agglomération lyonnaise, qui s’est construite sur l’accueil et l’accompagnement des start-up et des PME et une forte présence à l’international pour attirer les grands groupes ». Il évoque une « vraie rupture » avec les politiques précédentes.
« En privilégiant la politique du logement, la ville de Lyon s’est repliée sur elle-même alors que pour faire vivre un territoire, il faut renforcer les collaborations avec les territoires voisins « , martèle-t-il. Résultat, de plus en plus d’entreprises préféreraient se faire accompagner par la Région…
Au-delà des divergences sur les orientations de la politique de la Métropole, des facteurs « objectifs » ont contribué à ce que d’aucuns considèrent comme une perte d’attractivité. La morosité de la conjoncture a rendu les entreprises plus frileuses dans leurs projets d’investissement. Et si elles décident de se lancer, elles vont privilégier Lyon intra-muros, plus attractif pour les salariés. « Le développement du télétravail a incité les employeurs à opter pour des locaux centraux plus accessibles », poursuit le directeur général de l’Aderly. Résultat, les zones plus éloignées, encore dotées de foncier et de locaux vacants ne font pas le plein, voire voient leur taux de vacance croître comme c’est le cas à Saint-Priest. Pas facile d’attirer les entreprises – et surtout leurs salariés – à la périphérie…
Green tech industrielles
D’autant que le spectre des entreprises dont l’implantation est jugée « désirable » depuis 2022 s’est réduit. « Nous ne sommes plus dans une logique de volume. Aujourd’hui, on sélectionne des projets à impact dont l’accompagnement est plus long et complexe », déclare Bertrand Foucher. Comme, par exemple, les projets d’implantation en cours de nanofactories de greentech, dont celui de la start-up toulousaine Water Horizon, porteuse d’une technologie de récupération de la chaleur fatale pour produire du froid industriel. La deeptech serait en train de lever 100 millions d’euros pour sa future usine. Ou le projet industriel de la francilienne Leviathan Dynamics qui a inventé un système de climatisation non polluant, où le gaz est remplacé par de l’eau.
Renforcer les filières locales
Ces entreprises « vertueuses » sont emblématiques de la nouvelle feuille de route de l’Aderly. L’année dernière, l’agence a mené une démarche de transformation baptisée Octopod, un terme qui associe l’intelligence collective des 8 tentacules de la pieuvre (octopus en anglais) et de pod, pour pied – symbole de l’ancrage géographique – et écouteur, en anglais. Sous la houlette de la Métropole, elle a organisé des ateliers participatifs avec des acteurs économiques – dont la CCI, le Medef Lyon Rhône, EDF, Boehringer Ingelheim, etc. – et territoriaux, comme les communautés de communes.
« Nous avons voulu sortir de l’attractivité purement économique pour l’envisager au service de la robustesse du territoire. Nous ciblons des projets dont l’impact est bénéfique d’un point de vue environnemental et sociétal », poursuit-il. En clair, la gouvernance écologique de la Métropole privilégie une typologie d’entreprises porteuses de projets à empreinte environnementale raisonnée, de solutions pour la décarbonation et/ou à impact sociétal.
Attirer les briques manquantes
« La robustesse », un terme cher à Émeline Baume, vice-présidente déléguée à l’économie, l’emploi, le commerce, numérique et à l’achat public de la Métropole de Lyon. « Nous voulons renforcer les filières économiques déjà existantes, comme la santé, la chimie, la mobilité et l’énergie », déclare-t-elle. En 2023, les deux plus grosses implantations en termes d’emplois émanent du secteur de l’énergie avec la filiale de l’lFPEN, Axens, implantée à Lyon 7e et la start-up italienne Newcleo (nucléaire), à Lyon 3e, avec 150 créations de postes à 3 ans pour chacune d’entre elles.
L’idée est de trouver « les briques manquantes dans les filières fortes déjà existantes et non d’organiser une concurrence avec les entreprises déjà présentes ».
Parmi les implantations emblématiques de la nouvelle feuille de route figurent Materi’act, filiale R & D de l’équipementier automobile Forvia, spécialisée dans la conception de matériaux biosourcés. Implantée à proximité de la Doua, elle va bénéficier de son écosystème de recherche et du savoir-faire industriel de Lyon dans la chimie. Le projet de démonstrateur de recyclage textile des Tissages de Charlieu (Loire) baptisé Nouvelles Fibres Textiles à Amplepuis (Rhône) coche, lui aussi, toutes les cases. Encore au stade de pré-industrialisation, il devrait déboucher sur la construction d’une usine dans la métropole pour se rapprocher de son énorme gisement de textiles (50 000 tonnes/an).
Casse-tête
Mais pour l’Aderly qui veut combiner projets à impact et réindustrialisation, l’équation n’est pas toujours facile à résoudre. Ce qui pourrait expliquer la réduction du nombre de projets accueillis. « Il y a parfois une tension entre la volonté de privilégier l’impact des entreprises et l’enjeu de réindustrialisation », reconnaît son directeur général. Ainsi, par exemple, la fabrication française de panneaux photovoltaïques vertueuse du point de vue de la souveraineté nationale, pose problème en raison de sa forte consommation d’eau, en concurrence avec les autres usages sur le territoire.
De la même façon, quand la filiale française de l’allemand Samson Regulation, fabricant de systèmes de vannes et robinetterie pour l’industrie, qui achète la quasi-totalité de ses pièces à l’étranger, envisage de se fournir localement, se pose la question de l’acceptabilité d’une fonderie polluante par les habitants de la région.
Entre le projet « vertueux » qui entre pile poil dans la feuille de route et ces cas plus difficiles à trancher, l’Aderly se réserve le droit de faire « pivoter » les projets. C’est-à-dire de les « amender » pour optimiser leur impact positif.
« Il n’y a plus d’argent pour des projets qui ne sont pas écologiquement compatibles. Donc, nous cherchons toujours à améliorer la qualité du projet pour qu’il soit bénéfique pour l’entreprise et le territoire », reprend Bertrand Foucher.
Influer sur les business plans
Mais les intérêts des uns et des autres ne convergent pas toujours lorsqu’il s’agit du foncier. La quasi-totalité des industriels veulent être propriétaires d’un terrain d’emblée « surdimensionné pour prévoir de futures extensions ». Or, en raison de la rareté des terrains et de la loi ZAN (Zéro Artificialisation Nette), ils se voient opposer une fin de non-recevoir, même dans les territoires éloignés de Lyon.
Les superficies accordées peuvent parfois être même réduites dès l’installation. « Nous incitons les porteurs de projets à compacter leurs bâtiments pour réduire leur emprise au sol », reconnaît-il. Et comme les collectivités veulent rester propriétaires des terrains, l’industriel se voit accorder un « simple bail à construire ». « Toutes ces incitations à réduire le nombre de mètres carrés occupés impactent positivement leur empreinte écologique et leur sont bénéfiques pour lever des fonds en relation avec les critères CSRD », fait valoir Bertrand Foucher. Pour rappel, les normes européennes issues de la CSRD (Corporate Sustainability Reporting Directive) génèrent des obligations de reporting extra-financier visant à mesurer la performance durable des entreprises. La CSRD couvre l’intégralité des critères ESG : les enjeux environnementaux, sociaux et de gouvernance.
Le « pivot » peut tourner autour de l’impact sociétal. Ainsi, il a été suggéré à la licorne Exotec, basée à Croix (Nord) qui développe des solutions robotiques pour la logistique, de recruter des développeurs issus de publics éloignés de l’emploi, des diplômés des écoles locales Simplon et Ada Tech, pour son centre R & D de Lyon Part Dieu, inauguré en décembre 2023. Dans la même veine, Materi’act a été invitée à héberger dans ses locaux des start-up de son secteur d’activité, issues de l’écosystème lyonnais.
Relier la Métropole aux territoires plus éloignés
Ici, on joue la carte de l’intégration, dans un monde idéal où les nouveaux arrivants viendraient renforcer les maillons faibles d’une filière et servir de terreau à de jeunes pousses, entreprises ou salariés. « Nous voulons bâtir des écosystèmes sur tout le territoire, comprenant des entreprises et leurs sous-traitants, des écoles à proximité des lieux de production et une offre de logement », ajoute Émeline Beaume, qui refuse de » tout mettre dans la Métropole ». Des territoires plus éloignés comme Roanne, Saint-Etienne, et Vienne ont vocation à développer ces bassins de vie d’équilibre, avec une mixité sociale. D’où la volonté de l’Aderly de « renouer le dialogue » avec ces territoires. L’année dernière, Bourg-en-Bresse et la communauté de communes de l’Est Lyonnais (CCEL) ont demandé à rejoindre l’Aderly. Et Saint-Etienne y est revenu après une année d’indépendance en 2022…
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