Un chef d’entreprise sur cinq (19 %) signale que des candidats ont renoncé à venir dans leur entreprise en raison de difficultés pour se loger à proximité de l’entreprise. La dernière enquête de conjoncture de la CPME, menée en octobre et novembre 2023, révèle que la crise du logement renforce les difficultés de recrutement. À noter que cette proportion a doublé en six mois. « Il est désormais plus qu’urgent d’agir », clame l’organisation patronale. Parmi les chefs d’entreprise, plus de la moitié (53 %) disent refuser des commandes ou des ventes par manque de personnel.
D’autres études confirment l’urgence d’agir. Un sondage Opinion Way pour The Boost Society d’avril 2023 révèle par exemple que neuf actifs sur dix éprouvent des difficultés à trouver un logement dans une grande ville en France. Une problématique qui n’est pas nouvelle. Annaïg Le Meur, députée Renaissance du Finistère, met quant à elle en avant des chiffres du Credoc datant d’avril 2012 : « La problématique du logement affectait 40 % des entreprises pour leur recrutement. Un quart d’entre elles pointaient le manque de logement comme un frein au recrutement. La problématique est d’autant plus forte sur tout le littoral ». Les entreprises ont tout intérêt à s’emparer du sujet puisque l’étude d’Opinion Way montre également que pour un actif sur deux, l’aide au logement est l’avantage le plus attractif que les entreprises peuvent proposer à leurs salariés.
« La problématique du logement est évoquée en particulier chez les jeunes »
Certaines d’entre elles, comme Entech, une PME de 160 salariés basée à Quimper spécialisée dans les énergies renouvelables, s’en préoccupent. Elle valorise auprès de ses collaborateurs via son réseau social interne et le livret d’accueil des nouveaux arrivants les dispositifs comme Action Logement. « Nous leur communiquons les nouvelles annonces, leur rappelons régulièrement l’existence du dispositif et faisons en sorte que de son côté Action Logement identifie bien les salariés d’Entech pour l’octroi de logements », raconte Gaël Le Goc, responsable RSE et communication au sein de l’entreprise. Il y a un an, lorsqu’elle est arrivée dans l’entreprise, la jeune femme a elle-même bénéficié du dispositif. « On m’avait aidé à trouver une location. Je n’avais rien eu à payer en termes de dépôt de garantie, de premiers mois de loyer ou de frais d’agence. Mais, depuis, le gouvernement a resserré la vis ». Au global, vingt salariés de la PME quimpéroise ont pu profiter des bénéfices de ce dispositif en 2022, contre une dizaine en 2023. À ce jour, la PME n’a pas encore franchi le cap de l’acquisition de logements. « Nous sommes en veille active sur ces sujets, nous pourrions aller plus loin et réfléchissons pour le moment à des solutions d’hébergement de nos salariés », notamment pour les stagiaires et alternants. Car « la problématique du logement est évoquée en particulier chez les jeunes », explique la salariée. Ainsi, sur les quinze alternants qu’accueille Entech cette année, cinq bénéficient d’une subvention d’Action Logement. Ce que confirme la dernière enquête menée fin août par OpinionWay pour The Boost Society : plus de quatre jeunes sur dix ont déjà refusé un emploi faute de logement.
Une plateforme pour loger les apprentis en Bourgogne
Installé dans le village de 1 000 habitants de Saint-Désert, en Bourgogne, à plusieurs kilomètres de Chalon-sur-Saône, le traiteur et organisateur de réceptions L’Epicurien des Vignes (9 salariés), qui recrute chaque année un à deux apprentis en cuisine, pâtisserie ou en mention complémentaire traiteur, est confronté à la problématique du logement pour ses stagiaires et alternants : « Le problème de l’apprentissage en milieu rural, c’est le logement. Beaucoup d’entreprises, notamment dans l’artisanat en milieu rural, ne recrutent pas car elles ne trouvent pas à loger leurs apprentis. C’est de plus en plus un point bloquant », entre le prix des loyers, le manque de transports en commun et, dans le milieu des métiers de bouche, les horaires décalés, regrette Philippe Queneau, son dirigeant. Alors, lorsque le chef d’entreprise a trouvé par le biais du maire de la commune un studio au-dessus de la mairie pour l’un de ses apprentis, l’idée de rapprocher des apprentis et des propriétaires de logements de petites surfaces qui ne répondent pas aux réglementations classiques de la location mais peuvent convenir pour des apprentis, a rapidement fait son chemin. Une initiative qui a depuis été formalisée par la CPME de Saône-et-Loire avec la récente création d’une plateforme de mise en relation entre propriétaires et jeunes. « Les loyers sont de faible montant, de 150 à 200 euros, et le plus souvent pris en charge par les aides du Département ou les aides au logement, avec des baux qui correspondent aux durées des contrats et ne nécessitent pas de dépôt de garantie », détaille Philippe Queneau.
Une auberge de jeunesse pour les saisonniers en Dordogne
La société d’économie mixte (SEM) Semitour, principal acteur du tourisme en Dordogne elle aussi implantée en milieu rural, a sauté le pas pour enrayer les difficultés d’hébergement qu’elle rencontrait depuis trois ans. Avant le Covid, l’entreprise semi-publique qui gère huit sites patrimoniaux – des châteaux, des campings et des sites comme Lascaux 2 et 4 -, et comptabilise plus de 700 000 visiteurs par an pour 90 salariés et 11 millions d’euros de chiffre d’affaires, ne faisait pas face à des problèmes de logement. « Les locaux louaient leurs chambres au mois à nos 140 saisonniers. Aujourd’hui, avec les plateformes internet, ce n’est plus possible. C’est la troisième année post-covid que je suis confronté à cette problématique », expose André Barbé, son directeur. À l’automne 2022, l’entreprise a racheté au conseil départemental un hameau de gîtes en pierre à Thonac, à proximité du parc de Thot et des grottes de Lascaux. Deux sites touristiques qui mobilisent à eux seuls quelque 70 saisonniers. « Entre l’achat et les travaux, la SEM a investi 1,2 million d’euros ». Un investissement qui a été subventionné en partie par le conseil régional à hauteur de 150 000 euros. Si elle logeait déjà quatre saisonniers l’été dernier, et deux alternants et un stagiaire cet hiver, l’idée est d’avoir en 2025 24 lits à disposition, façon auberge de jeunesse. « C’était un argument fort cet été. Si je n’avais pas eu ces lits, les saisonniers n’auraient pas pu venir. C’est un vrai facteur d’attractivité et un véritable avantage concurrentiel », avance le dirigeant. Un avantage en nature déclaré sur leurs fiches de paie : la chambre ne leur coûte ainsi que 5 à 10 euros par mois. L’entreprise semi-publique se félicite d’amener ainsi de nouvelles compétences sur le territoire et de pouvoir leur montrer la qualité de vie en milieu rural. « Nous ne pouvons pas nous permettre de perdre de jeunes et devons développer des compétences pointues pour nous et pour le territoire », justifie-t-il.
Des pavillons aménagés comme des résidences étudiantes dans le Grand Est
D’autres entreprises n’ont pas attendu ces problématiques de logement pour proposer des logements à leurs salariés. Depuis trente ans, le groupe industriel Axon’ Cable (2 500 salariés à travers le monde), a acquis une soixantaine de pavillons autour du site de Montmirail dans la Marne qui accueillent 750 salariés. L’entreprise industrielle, qui fait face à des difficultés de recrutement alors qu’elle crée une cinquantaine de nouveaux postes chaque année, veut ainsi « éviter que la recherche de logement ne soit un frein à l’embauche. Étant à la campagne, dans une ville de 5 000 habitants, il n’y a pas pléthore de logements à louer », indique Sandrine Hermant, salariée de l’entreprise. Il y a trente ans, lors de son arrivée dans l’entreprise, la marketing manager avait déjà bénéficié d’un logement. Moyennant 150 euros par mois, les salariés en CDD et stagiaires profitent d’une chambre individuelle et d’espaces communs à partager sur le même mode de fonctionnement que les résidences étudiantes.
En Bretagne, FenêtréA va construire son propre lotissement
C’est également pour « avoir un atout de plus dans son jeu en termes de marque employeur » que FenêtréA (550 personnes, 88 M€ de CA en 2023), basée à Beignon dans le Morbihan, a prévu de construire un lotissement de 40 logements sur un terrain de 11 400 m² nets situés à 400 mètres de l’entreprise. Un atout d’autant plus important que l’entreprise, spécialisée dans les menuiseries PVC et alu, cherche à recruter entre 70 et 100 personnes supplémentaires pour sa nouvelle usine de fabrication de fenêtres en aluminium qui devrait voir le jour en 2026. Si son PDG Dominique Lamballe pousse depuis quinze ans les politiques sur le sujet du logement, jusqu’alors, il ne souhaitait pas investir le sujet. « Je ne voulais pas revenir un siècle et demi en arrière vers le patronat patriarcal. Notre métier est de créer de la croissance. Aux communes de préparer le terrain », estimait alors le dirigeant. Mais la tension de plus en plus forte sur le marché du logement, avec une demande de 200 logements non pourvus sur cette commune de 2 000 habitants, ses besoins imminents de bras et la mise à disposition par la mairie de ce terrain viabilisé, l’ont finalement décidé. Si pour l’heure, l’ETI avance tous les fonds, la foncière Horizons Brocéliande, qui va être créée en ce mois de février va inviter salariés, locataires et acquéreurs, accompagnés par un pool bancaire, à investir dans le projet. Objectif : louer les maisons dans un premier temps puis « en vendre une tous les trimestres pour que le projet soit dissous dans dix ans », explique le dirigeant qui se fait accompagner sur ce sujet par un cabinet d’architecture et par un cabinet juridique et fiscal pour encadrer cet investissement complexe. « Il y a beaucoup de règles à suivre. On nous a par exemple conseillé de cloisonner l’entreprise et le projet : FenêtréA n’investit pas directement dans ces logements », explique le dirigeant.
Le logement doit-il être du ressort de l’entreprise ?
Des initiatives qu’Annaïg Le Meur, auteure d’un récent rapport qui met en avant la nécessité de réinvestir le lien emploi-logement, qualifie volontiers de modèle « paternaliste » : en voulant recréer « de grandes cités à proximité des chantiers à l’image de la SNCF ou d’EDF », ces entreprises veulent « fonctionner en bon père de famille ». Pour l’élue, la question ne devrait pas être du ressort des entreprises. Pour éviter que cela « change le lien avec les salariés et ne soit trop intrusif », elle propose de réfléchir à des logements éphémères ou mobiles comme solutions temporaires pour attirer des candidats, dédier une personne à la gestion de ces biens immobiliers, ou encore mobiliser les branches professionnelles sur le sujet. Elle cite notamment les actions de l’Union des métiers et des industries de l’hôtellerie (Umih) qui profite pour les saisonniers des places disponibles dans les internats pendant les périodes de congés ou du fonds d’action sociale au travail temporaire qui enjoint les entreprises du secteur à payer en amont les avances de loyer pour le compte des intérimaires qui ne sont pas toujours en mesure de présenter les garanties nécessaires.
D’autres modèles se développent, comme la création de résidence hôtelière par l’ETI bretonne Piriou, spécialisée dans la construction et la réparation navales de navires en acier et aluminium. « Il s’agit d’un bâtiment géré par Action Logement partagé par plusieurs entreprises qui fonctionne comme un foyer de jeunes travailleurs », explique Annaïg Le Meur. Si elle reconnaît que « nous sommes en période de crise et que les entreprises pallient cette crise comme elles le peuvent », elle déplore que ces investissements ne se fassent « au détriment de la productivité. Ce n’est pas la mission première des entreprises qui doivent investir au profit de leurs outils de production plutôt que dans des biens immobiliers. C’est à nous, État, d’actionner tous les leviers et de rénover, construire, libérer les logements vacants, densifier l’occupation et faciliter l’accès aux prêts bancaires », insiste-t-elle.
Un prêt immobilier subventionné par les entreprises
L’élue prône davantage un accompagnement financier de la part des entreprises via une prime d’accession à la propriété, des primes au logement, des primes sur les intérêts d’emprunts ou un soutien financier. Certaines suivent ce modèle et aident leurs salariés à accéder à des logements pérennes. Pour Laurent Permasse, président du directoire de Sofiap, filiale de La Banque Postale et de la SNCF qui propose un dispositif innovant pour l’accession à la propriété des salariés, « c’est un demi échec lorsque les entreprises n’offrent pas d’autre solution que la location aidée car les personnes ne restent pas dans ces logements tout au long de leur carrière ». Ainsi, au-delà des dispositifs déjà existants tels qu’Action Logement, la filiale propose un prêt immobilier subventionné par les entreprises. Concrètement, le taux d’intérêt est pris en charge par l’employeur, en partie ou en totalité : « Chaque entreprise fait ce qu’elle souhaite et fixe ses propres critères », explique Laurent Permasse. Le modèle, qui existe depuis plus de trente ans pour le secteur public avec plus de 38 000 salariés qui ont bénéficié du prêt immobilier subventionné, se déploie depuis six mois dans le secteur privé. « Ce dispositif est très impactant sur les entreprises de moins de 50 salariés qui ne bénéficient pas d’Action Logement et n’offrent pas les mêmes standards en termes d’avantages sociaux que les grandes entités sont confrontées à des problèmes de compétitivité et d’attractivité. Ce alors que le logement est le premier poste de charge dans la pyramide de Maslow », pointe-t-il du doigt. En moyenne, l’aide perçue est de 1 500 euros par an et par collaborateur sur l’ensemble des entreprises avec lesquelles travaille Sofiap. « Cela correspond à 8 à 10 m² en plus sur la durée de l’emprunt », traduit Laurent Permasse, qui travaille actuellement sur une proposition de loi avec plusieurs parlementaires et Matignon pour que les entreprises bénéficient d’une exonération de charges patronales lorsqu’elles prennent en charge une partie des taux d’intérêt de l’emprunt immobilier de leurs collaborateurs.
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