Dans l’idée, voilà à quoi est censée ressembler la maison de Mickaël. « À droite de l’entrée, il y a un petit débarras, avec la cuisine, au fond. À gauche, un petit salon, puis la salle à manger, juste en face. Et tout à gauche, ce sont les chambres. » Or, il faut être très imaginatif. Car sur son terrain de Pernay, « il n’y a que la dalle et le vide-sanitaire ».
Le chantier est à l’arrêt depuis octobre 2022. À l’époque, le propriétaire n’a de cesse de demander des explications au maître d’œuvre, Construction Design, recommandé par son oncle. En vain. « J’appelle pour comprendre pourquoi les travaux n’avancent pas. On me dit à chaque fois que ce sont simplement des petits retards, qui finissent par s’accumuler. Quelques jours, puis quelques semaines. J’envoie deux courriers recommandés avec mise en demeure. Pas de réponse. »
Une perte nette de 50.000 euros
Au printemps 2023, une de ses connaissances, qui connaît du monde dans le bâtiment, lui explique que la société a été placée en procédure de sauvegarde. Mickaël commence à s’inquiéter. Il décide de se rendre au siège, à Fondettes. « Je tombe sur le chef de chantier. Je lui explique que je suis en colère, que ce n’est pas possible qu’on continue comme ça. Et là, il me dit : ‘Ah, mais vous n’êtes pas au courant ? Mercredi, on est fermé.' »
La liquidation judiciaire est prononcée en juillet. « Là, je me rends compte que la somme avancée pour le charpentier et le maçon, nous ne la reverrons jamais. Il y en avait pour 50.000 euros. »
Pour Mickaël, le coup est rude. Impossible d’engager des poursuites contre une entreprise qui n’existe plus, et aucune assurance ne prend cela en compte. En effet, la garantie décennale ne peut pas s’appliquer, vu que l’ouvrage n’a pas été livré. « En fait, quand il y a une liquidation, les premières personnes qui sont payées, ce sont les salariés. Ensuite, les fournisseurs. Et en troisième, les clients, s’il reste de l’argent. Il y a quelque chose qui n’est pas clair pour moi. Sinon, c’est facile, tout le monde construit deux maisons, ça marche, on se fait une bonne réputation. Après, on prend 50 clients et on les lâche. Ce n’est peut-être pas aussi simple, mais c’est l’impression que ça me donne ».
« Plus d’une trentaine de victimes »
La famille recomposée, avec trois enfants, aurait dû être dans la maison depuis des mois, déjà. Et patiente, dans la location qu’elle occupe, le temps qu’une solution soit trouvée. Et l’espoir est permis, puisque la banque vient d’accorder une rallonge de 50.000 euros pour le prêt, car le crédit, lui, a bien été lancé. Des contacts viennent d’être noués avec un autre constructeur, qui serait prêt à reprendre la maîtrise d’ouvrage.
Entre temps, Mickaël s’est renseigné sur la société Construction Design et s’est rendu compte qu’il y a « plus d’une trentaine de victimes », qui échangent très régulièrement sur un groupe de discussions en ligne.
Parmi elles, il y a Leslie et Thomas, jeune couple d’une trentaine d’années, qui fait construire à Chançay. « Sur le coup, quand on annonce la liquidation, on n’y croit pas. On se dit que ça ne peut pas nous arriver, que ça n’arrive qu’à la télé. Il faut bien plusieurs jours avant que l’on réalise qu’on a perdu un tiers du projet. Car on avait aussi avancé 50.000 euros. »
Vendre à perte ou amener le projet au bout ?
Leslie est alors enceinte de six mois. Alors qu’elle pensait avoir une maison hors d’eau et hors d’air pour la naissance de sa fille, elle subit le contre-coup. « Je commence à avoir des premières contractions, dû au choc que cela crée. » Très rapidement, le couple se pose la question. Faut-il revendre en l’état, et forcément au rabais, avec seulement un mètre de parpaings posés ? Ou faut-il amener le projet au bout, seuls, en s’improvisant maîtres d’œuvre ? « Cette maison me dégoûte, ce projet me dégoûte, les gens qui interviennent chez nous me dégoûtent mais on n’a pas le choix que d’aller au bout, explique Leslie. Sinon, on va perdre beaucoup trop dans l’histoire. »
En six mois, le couple apprend à dessiner des plans, passe des heures à rappeler tous les artisans, pour savoir s’ils les suivent dans la démarche, et multiplie les devis. « Je me rappelle très bien quand on est au téléphone avec le maçon. Il nous dit : ‘C’est simple, il n’y a plus de Construction Design, je ne vais pas me faire payer, donc pour moi, c’est terminé, fin de chantier’. Et là, je lui dis : ‘Mais vous ne pouvez pas me faire ça’. Et je crois que c’est l’une des premières fois où j’ai supplié quelqu’un dans ma vie. »
Depuis, les choses avancent bon gré, mal gré. Mais avec cette rancœur tenace vis-à-vis de leur ancien maître d’œuvre. Leslie en a les larmes aux yeux, quand elle se replonge, dans cette dernière année si difficile sur le plan psychologique. « On m’a volé ma grossesse, on m’a volé mon accouchement, on m’a volé mon post-partum. Moi, je tiens pour ma fille. C’est la seule et unique raison, aujourd’hui, pour laquelle je ne me suis pas balancée du cinquième étage. Et l’ancien gérant, lui, dort sur ses deux oreilles. »
Leslie et Thomas espèrent être dans leur pavillon pour l’anniversaire de leur fille en octobre. Si le plaquiste daigne enfin refaire les velux positionnés beaucoup trop haut. Un exemple de galères parmi d’autres, qui fait que le projet leur revient 47.000 € plus cher qu’au tout début. Et encore, ce n’est peut-être pas fini.
L’ancien gérant assure avoir été de « bonne foi »
Contacté, l’ancien gérant de Construction Design, assure avoir prévenu 80% de ses clients, quelques jours avant que le tribunal de commerce ne se prononce, que la société allait être placée en liquidation judiciaire. « Ceux dont les chantiers étaient les plus avancés », précise-t-il. Avant d’ajouter que son entreprise, qui existait depuis 10 ans, a fait les frais du Covid-19 et de la guerre en Ukraine. « En septembre 2020, on obtient enfin la réouverture des chantiers, mais la deuxième vague de l’épidémie nous tombe dessus tout de suite. Et là, ça décale tout. On a les prêts garantis par l’État, mais qu’il faut rembourser à partir d’une certaine date, tout s’enchaîne. Les banquiers nous coupent les découverts autorisés en octobre 2022. Moi, je vends un local commercial et je réinjecte 230.000 euros dans la société pour la sauver. Et quand les prix de la construction s’envolent, du fait de la guerre en Ukraine, pour ne pas répercuter les prix sur les clients, je prends la hausse des coûts à ma charge. »
L’ex-patron indique avoir été « de bonne foi » et avoir géré sa société « en bon père de famille ». Quand le couperet tombe, il assure à certains de ses clients qu’il va continuer à les suivre, « bénévolement ». Pour cela, « je vends ma maison et je dédie 130.000 euros à payer les fournisseurs de mes clients à leur place ». Visiblement, Mickaël, Leslie et Thomas n’ont pas eu cette chance, s’il dit vrai.
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